vendredi 24 avril 2009

Génocide des Arméniens



" Avec notre cœur, avec le peuple arménien, jusqu’à l’Ararat ! "


Voici le discours que je viens de prononcer devant le Mémorial lyonnais du Génocide des Arméniens de 1915, dont nous commémorons aujourd'hui le 94e anniversaire



" 24 avril 1915. Constantinople.

Le gouvernement Jeune-Turc organise le massacre de plusieurs centaines d’Arméniens.

Professeurs, avocats, intellectuels : en s’attaquant d’abord à l’élite arménienne, les autorités ottomanes entendaient décapiter une communauté tout entière.

Ainsi débuta, il y a 94 ans, le premier génocide du 20e siècle.

En Occident, et notamment en France, les plus grandes consciences de l’époque avaient tenté d’alerter l’opinion internationale du drame qu’elles sentaient venir.

C’est le grand Jaurès qui, en 1896, le 3 novembre, s’adresse aux représentants de la nation française en s’écriant : "Il faut sauver les Arméniens ! "

Au nom des valeurs universelles de paix, de justice, de droit, et dénonçant un processus qu’il pressent inexorable, il poursuit alors : « Messieurs, ce qui importe, ce qui est grave, ce n’est pas que la brute humaine se soit déchaînée là-bas, ce n’est pas qu’elle se soit éveillée. Ce qui est grave, c’est qu’elle ne s’est pas éveillée spontanément ; c’est qu’elle a été excitée, encouragée, nourrie des appétits les plus féroces par un gouvernement régulier avec lequel l’Europe a échangé plus d’une fois, gravement, sa signature. »

C’est une autre grande figure française, Charles Péguy qui, dès 1900, écrit : « Le massacre des Arméniens sur lequel je reviendrai toujours et qui dure encore n’est pas seulement le plus grand massacre de ce siècle ; mais il fut et il est sans doute le plus grand massacre des temps modernes ».


Ces appels, hélas, ne trouvèrent guère d’échos.

Et c’est à l’ombre de la Première Guerre Mondiale, que se réalisa le massacre des Arméniens.

Un génocide qui décima les deux tiers de la population arménienne d’Anatolie, avec ce bilan effroyable : 1.5 millions victimes !

Un génocide planifié et orchestré par un Etat au nationalisme exacerbé qui entendait en finir avec ce qu’il appelait la question arménienne.

C’est, en effet, sur ordre envoyé dans toutes les provinces par le ministre de l’intérieur, Talat Pacha, qu’au printemps 1915 se déroulèrent la déportation puis le massacre de tout un peuple.

Jetés sur les routes désertiques de Mésopotamie, en un milieu où personne ne pouvait survivre, des millions d’hommes, de femmes, d’enfants connurent un calvaire insupportable. A l’inhumanité des marches forcées s’ajoutèrent la famine, la maladie, les humiliations, les tortures et les viols.

« Je ne pense pas que dans toute l’histoire du monde, il y ait jamais eu un massacre aussi général et méthodique que celui qui a lieu dans cette région ou qu’un plan plus diabolique soit jamais sorti de l’esprit d’un homme ! » Tels furent les mots que le Consul américain adressa à son gouvernement pour raconter ce que de ses yeux, il avait pu voir en 1915.

Témoignage confirmé par les rapports d’enquête réalisés dès 1916 par le gouvernement britannique dans son « Livre Bleu sur le traitement des Arméniens dans l’Empire ottoman ».

Oui, depuis 1915, les faits étaient déjà connus de tous !

Pourtant, dès la parution du Livre Bleu, le gouvernement turc s’acharna à les contester, à travestir la réalité !

Un génocide venait de se perpétrer, mais il fallait le nier comme si, après avoir tué les vivants, on voulait supprimer jusqu’à la mémoire même de celles et de ceux qui en avaient été les victimes.


" Affirmer que Lyon serait une fois de plus, ville de résistance, contre toutes formes de négationnisme... "

C’est parce que Lyon a été le refuge de ceux qui survécurent, de ceux qui avaient été jetés sur les routes de l’exil, vos parents, vos grands-parents, à vous qui êtes ici, que la mémoire du génocide arménien est aussi profondément ancrée dans nos consciences et dans nos cœurs.

C’est elle qui nous a conduit à vouloir ériger, pour perpétuer le souvenir, cette œuvre forte, non dans un quartier périphérique, mais au centre de notre Cité, à l’endroit même où chaque jour bat le cœur de notre agglomération !

Pour que chacun se souvienne !

Pour que chacun médite !

Oui, nous avons voulu ce Mémorial pour que jamais l’oubli ne l’emporte.

Nous l’avons voulu pour affirmer que Lyon serait une fois de plus, ville de résistance, contre toutes formes de négationnisme, un négationnisme vis-à-vis du génocide arménien, qui devra bien un jour être sanctionné par la loi !

Cette tragédie de l’Histoire qui fut la vôtre, nous avons voulu la faire nôtre.

Oui nous avons voulu ce Mémorial en dépit des critiques, des pressions, des menaces, de toutes les voix qui s’élevaient alors pour protester contre son édification.

En l’installant, voici trois ans, au cœur de notre Cité, c’est le combat universel pour la mémoire et la vérité de l’Histoire que nous avons entendu affirmer, comme élément constitutif de l’identité même de notre ville.

Alors, je suis heureux qu’en ce jour du 24 avril, nous soyons si nombreux rassemblés. Tous ceux qui se retrouvent depuis les débuts mêmes de l’organisation de cette manifestation, en 1974, tous ceux, qui nous ont rejoints depuis et tous ceux qui nous rejoignent aujourd’hui.

La diversité de notre rassemblement – au-delà des frontières partisanes, politiques, religieuses, ou philosophiques – montre qu’à Lyon, nous avons déjà gagné ce combat pour la mémoire qu’avaient déjà engagé, en leur temps, Edouard Herriot ou Justin Godart.

Cette cause demeure pour nous, aujourd’hui encore, un enjeu majeur car il convient de la porter partout, et d’abord en Turquie.

Nous sommes de ceux qui pensent, en effet, que rien de nouveau ne pourra se construire sans que les autorités turques n’aient avancé sur le chemin de la vérité. Assumer l’histoire, ce n’est pas trier les faits. C’est en révéler les lumières, mais aussi, les zones d’ombres. C’est comme cela qu’une nation avance sur la voie du progrès et des libertés !

Que serait aujourd’hui l’Europe si, au lendemain même de l’holocauste, l’Allemagne n’avait pas reconnu ses crimes ? Jamais la réconciliation avec la France n’aurait pu voir le jour ! Jamais l’Europe n’aurait pu renaître et devenir cet espace de paix, de démocratie et de liberté.

L’acte de reconnaissance du génocide est le préalable aux relations que voudrait engager la Turquie avec ses voisins.

Aujourd’hui, peut-être, l’histoire commence à bouger, avec des signes qui sont pour nous porteurs d’espoir. Ce n’était qu’un match de football à Erevan, mais déjà la présence côte-à-côte, en septembre dernier, des Présidents turc et arménien, était un symbole fort.

De même qu’étaient fortes les paroles que Barack Obama a tenues au cours de sa campagne électorale, appelant la Turquie à reconnaître le génocide arménien. Ah ! Que nous aurions aimé qu’il les réitère lors de sa visite à Ankara !

A nous, donc, de poursuivre le combat pour que le gouvernement turc accepte enfin de reconnaître le passé, de reconnaître la réalité du génocide.

Nous devons le faire en martelant, encore et toujours que l’Europe, n’est pas seulement une zone de libre échange économique, mais qu’elle est d’abord fondée sur un socle de valeurs : la fraternité, la justice, la liberté, l’exigence de la mémoire !

Que l’adhésion à ces valeurs constitue un préalable pour tous ceux qui veulent intégrer l’Union Européenne. Car intégrer l’Europe, c’est intégrer son esprit, c’est intégrer ses valeurs !

L’histoire commence à bouger, disais-je, même si c’est parfois dans la douleur et la tragédie. Celle, par exemple, de l’assassinat du journaliste turc d’origine arménienne Hrant Dink à qui nous avons donné le nom d’une de nos rues.

Après ce crime odieux, Ahmet Insel, enseignant à l’Université francophone Galatasaray d’Istanbul, initia avec trois autres intellectuels turcs, en décembre 2008, une pétition adressée « aux frères et sœurs arméniens » pour la « Grande Catastrophe » de 1915.

Ils disaient : « la demande de pardon est devenue un besoin irrépressible. Pardon aux Arméniens d’aujourd’hui, à leur mémoire marquée de façon indélébile ; (…) pardon pour la poursuite obstinée de cette dénégation. »


" La Turquie ne doit plus passer à côté de son histoire... "

Par dizaines de milliers, des citoyens turcs ont signé cet appel, véritable promesse d’espoir pour l’avenir. Et, c’est peut-être de là, des profondeurs du peuple, que viendra la volonté de faire de la Turquie une nation qui ose enfin regarder son histoire !

Le monde change, les mentalités aussi ; les populations ne veulent plus être l’otage du passé ! Oui, la Turquie peut franchir des pas décisifs grâce à tous ceux qui se battent pour la liberté d’expression, à l’image de Hrant Dink, à l’image de Dogan Ozguden, qui nous fait l’honneur aujourd’hui de sa présence, et nous y sommes sensibles ; grâce à tous ceux qui, de l’intérieur ou de l’extérieur, mènent ce combat difficile pour la vérité et la liberté, fût-ce, au prix-même de leur vie.

Je forme le vœu que leur idéal se réalise.

Cela fera bientôt cent ans que le gouvernement Jeune-Turc prit la décision d’exterminer tout un peuple. Dans six ans, ce sera le centenaire du génocide.

Je forme le vœu, que dans six ans, la Turquie prenne elle-même l’initiative de procéder à une commémoration officielle du génocide. Elle ne peut plus laisser des millions d’hommes et de femmes amputés de leur mémoire, exilés depuis des générations.

La Turquie ne doit plus passer à côté de son histoire, l’histoire des Européens, l’histoire de l’Humanité !

Le nouveau cours du monde appelle cette évolution majeure.

Il faut travailler à construire les ponts, travailler ensemble, encore et encore, pour que le soleil se lève en Anatolie !

C’est là, l’espérance que nous devons porter, le serment qu’ensemble nous devons prêter : oui, dans six ans, c’est au pied du Mont Ararat, qu’il nous faudra pouvoir, officiellement, célébrer en Turquie la commémoration du centenaire du génocide arménien !

Sirrdov miassin Haïe Jorovourti ed Minschev Ararad ! "

(Avec notre cœur, ensemble, avec le peuple arménien, jusqu’à l’Ararat !)


Télécharger le discours au format Pdf : cliquer ici


8 commentaires:

Aga a dit…

Merci de faire la leçon de morale, mais il serait temps aussi alors pour la France de ne plus passer "à côté de son histoire", la France a tué près d'un million d'Algériens et plusieurs centaines de milliers de Vendéens, on attend alors les monuments, les votes dans les parlements qui institutionnalisent cela, les longs discours dans les blogs, je compte sur vous...

vs a dit…

@Aga, d 'accord avec vous. Mais je ne vois pas en quoi le discours de gérard collomb dit autre chose!

VS

Engin a dit…

Je serai étonné qu’il soit publié sur ce blog
M’enfin, on verra bien

Bonne journée

Cem

Le débat en cours serait gravement amputé s'il était réduit à la seule question " Faut-il faire taire les menteurs?" Si la question était aussi simple, les Turcs en France comme en Turquie répondraient sans hésiter " Oui! Que les menteurs enfin se taisent!"

Or, les Turcs n'ont pas peur de la vérité mais ils la veulent complète.

Sans doute est-il trop tard pour que les hommes politiques français écoutent les leçons de Descartes et de Voltaire. Au moins les aurons-nous avertis et informés, en regrettant qu'ils ne l'aient jamais fait par eux-mêmes.

Une bonne intention aura des conséquences catastrophiques. Voici lesquelles et pourquoi.

La zizanie remplace la réconciliation

L'objectif absolu de qui vit en ce 21ème siècle doit être la solidarité sans préjugé, le respect mutuel et la réconciliation entre les peuples comme entre les citoyens. C'est dans ce cadre et dans cette perspective seulement que peut être abordée la question des relations entre Turcs et Arméniens.

Toute concession, tout écart retarde gravement la réalisation de cet objectif pourtant essentiel pour l'avenir non seulement des Arméniens et des Turcs, mais aussi des Français, de l'Europe et de tous ses voisins.

Or, que voyons-nous? Au lieu de rechercher avec sincérité et bonne foi les chemins de la réconciliation par des rencontres sans mépris et sans agressivité, tout est fait pour placer l'interlocuteur en position d'adversaire et d’accusé.

Le vrai travail constructif qui devrait être "Que faire pour nous réconcilier?" est systématiquement occulté par de multiples débats placés comme autant d'écrans. "Etait-ce ou non un génocide?", "Faut-il ou non punir pénalement la négation du génocide?", "Faut-il ou non une commission internationale d'experts pour étudier l'histoire?", "Faut-il ou non faire de la reconnaissance du génocide par la Turquie une condition de son adhésion à l'Union européenne?", "Faut-il ou non ériger un monument commémoratif à Lyon?", "Faut-il ou non consulter -ou même associer- la communauté turque à cette occasion?", etc.

A regret, il faut constater que la France avalise sans hésiter cette stratégie funeste d'atermoiements et de pré-conditions qui élude totalement la question fondamentale: "Que faire pour nous réconcilier?"

La France n'a pas même choisi cette attitude. Elle l'a acceptée sans débat après qu'elle lui ait été proposée par les leaders actuels de la communauté arménienne en France, sans même que la France s'interroge sur les origines et les conséquences de cette stratégie.

La conséquence la plus dramatique est de mettre pour longtemps la France hors-jeu dans tout le processus de solidarité sans préjugé, de respect mutuel et de réconciliation.

Une histoire à jamais en morceaux

Voilà plus d'un siècle que la communauté arménienne est présente et active en France. On ne saurait lui reprocher de se faire entendre mais faut-il pour autant n'écouter qu'elle?

Le résultat est que les Français n'ont connaissance que d'une partie de l'histoire. İls croient détenir la vérité et ne mesurent pas même l'étendue de leur ignorance.

Voici un exemple d'actualité: à ce jour (1er juillet 2007) , aucun media français n'a reproduit la position officielle de la Grande-Bretagne. Quelques semaines à peine après le vote de la loi française reconnaissant le génocide arménien, Lady Scott (Foreign Office) a déclaré au nom du gouvernement britannique devant la Chambre des Lords: " L'évidence n'est pas suffisamment établie pour nous convaincre que les évènements doivent être qualifiés de génocide selon les termes de la Convention des Nations Unies de 1948 sur le génocide qui, de toute façon, n'est pas d'application rétroactive. L'interprétation des évènements en Anatolie de l'est en 1915-1916 est encore le sujet d'un véritable débat entre historiens."

Il est donc possible, très sereinement, à bon droit et sans vaines insultes, de récuser le terme "génocide" aussi officiellement qu'il a été reconnu.

Or il faut savoir que les Britanniques ont une connaissance exceptionnelle des faits survenus pendant la Première guerre mondiale. Ils ont aussi -et cela se sait moins- une connaissance exceptionnelle du fonctionnement, des buts et de l'histoire des lobbys arméniens au cours des soixante dernières années et jusqu'à aujourd'hui.
Ainsi la France, ayant adopté sans réserve ni mesure non seulement la vérité mais aussi la stratégie arménienne actuelle, empêche l'Union européenne de parvenir à une position commune plus constructive, plus respectueuse des partenaires en présence et plus indépendante des groupes de pression partisans. La loi qui pénalisera "la négation du génocide arménien" empêchera durablement d'en revenir à l'essentiel, c'est à dire à la solidarité, au respect mutuel et à la réconciliation.

Or ceux sont bien là les valeurs fondatrices de l'Union européenne: solidarité, respect mutuel, réconciliation. Sans préalable ni conditions nos peuples ont accepté ces règles de conduite qui sont aussi à la base de ce qu'il est convenu d'appeler "la méthode Monnet". En renonçant à ces principes au seul bénéfice de sa communauté arménienne, la France rend un mauvais service à celle-ci et fait un tort incommensurable à l'Europe. Il est troublant que des Turcs de France et de Turquie aient à le dire et à s'en alarmer.

Par la volonté de la France, l'histoire restera fragmentée. D'un côté l'histoire officielle française appliquée à l'Empire ottoman, avec un génocide désormais littéralement "indiscutable". De l'autre côté une histoire qui reste à découvrir et qui concerne non la seule responsabilité ottomane dans le sort des seuls Arméniens mais toute l'histoire d'un Empire en décomposition et de ses communautés tiraillées entre des espérances contradictoires, massacrées, écartelées entre des alliances de circonstance avec des Empires rivaux impitoyablement gourmands.

La France était un des ces empires. Et elle aurait aujourd'hui le front d'être à la fois juge et partie? Et elle déciderait ce qu'il convient d'écrire de l'histoire?

Une pédagogie dévoyée

Aucun pédagogue, aucun travailleur social n'avaliserait une telle méthode pour se faire comprendre. Aucun pédagogue, aucun travailleur social ne commence un entretien en traitant son interlocuteur de menteur et en lui intimant l'ordre de se taire.

C'est pourtant l'attitude actuelle d'une partie du monde politique français. Les conséquences de ce comportement et de la loi qui l'avalise annihilent sans rémission le but recherché : faire entendre "raison" aux Turcs.

D'autres groupes, d'autres peuples en tireront les conséquences, en France et dans le reste de l'Europe, Turquie comprise. Ceux-là sauront qu'il faut faire de la surenchère, activer les communautarismes, faire un chantage aux votes, réveiller la xénophobıe, exister par l’affrontement, entretenir les antagonismes.

Ignorer les Turcs du 21ème siècle

Perpétuer les haines, c'est précisément ce que refusent les Turcs en ce 21ème siècle. Leurs priorités sont tout autres. Ils entendent prendre leur part de responsabilités dans l'unification et la consolidation de l'Europe. Ils s'attachent, jour après jour, à fortifier la démocratie dans leur propre pays. Ils ont su abolir la peine de mort -y compris en temps de guerre-, sans débats douloureux et sans esprit de vengeance. Ils luttent tout à la fois contre les pesanteurs de l'Etat turc, contre des traditions archaïques. Ils travaillent avec acharnement pour élever leur niveau de vie et d'éducation en France comme en Turquie.

A tous, les Turcs de cette nouvelle génération offrent et demandent la solidarité sans préjugé, le respect mutuel et la réconciliation.

Les Turcs n'ont pas peur de regarder le passé en face. Ils veulent connaître la vérité, toute la vérité et ensuite mais alors seulement accepter le terme de "génocide". Ils n'en excluent pas l'éventualité mais personne ne pourra, de l'extérieur, les y contraindre.

Connaître l'histoire et l'admettre ne prend d'ailleurs son sens que dans un processus de réconciliation. Obliger les Turcs à reconnaître le mot "génocide" puis continuer à les combattre sur tous les fronts possibles relève de la guérilla politique. Une guérilla indigne de ce siècle.

Le Sénat et le Parlement trompés

La loi proposée au vote du Parlement le 18 mai 2006 a eu pour première conséquence de sacraliser des erreurs grossières commises par les deux Chambres.

Ainsi, les historiens noteront-ils avec un amusement amer que le texte du Sénat commence par une erreur historique dès son exposé des motifs (texte n. 60, 26 octobre 2000, paragraphe 3, deuxième phrase) qui affirme " Les Nations Unies ont reconnu officiellement (le génocide) en 1985 (...)" Il n'en est évidemment rien. Le Porte-parole du Secrétariat général des Nations-Unies l’a encore réaffirmé sans détour à mi-mai 2006.

Le 3 février 2000 déjà (texte n.206), c'est dès la première phrase que le Sénat récitait un artifice de propagande des défenseurs trop zélés de la cause arménienne. "La qualification de "génocide" du peuple arménien en 1915 a été reconnue dans une résolution de la sous-commission des Droits de l'Homme de l'ONU en 1985 (...)" Telle n'est pas la vérité.

Un rapporteur ayant à traiter de la prévention des génocides a outrepassé son mandat et traité de la question arménienne. Résultat: son rapport a simplement été "reçu" et non "adopté", il n'a fait l'objet d'aucune résolution de la sous-commission et encore moins transmis à la Commission compétente.

Aucun Sénateur, aucun Député français n'a pris la peine de vérifier ce point d'histoire contemporaine. C'est dire leur sérieux et leur compétence s'agissant de l'histoire survenue en Anatolie au siècle passé.

En Suède, la Commission des Affaires étrangères du Parlement, tombée dans le même piège de propagande en 2000 a rétabli la vérité dans son rapport de 2002.

Quant au Parlement, lors du vote de la loi de janvier 2001, le débat fut tout sauf contradictoire. Pire encore: le rapporteur François Rochebloine a totalement adopté non le point de vue arménien mais le seul point de vue du Comité de Défense de la Cause Arménienne dont chacun feint d'ignorer qu'il est une émanation directe du parti FRA - Dachnack.

Se fiant à cette seule source, le rapporteur Rochebloine en est venu, pour justifier le vote d'une loi relative aux évènements de 1915, à soutenir totalement la politique étrangère menée aujourd'hui par le Président d'Arménie Robert Kotcharian.

Ce mélange des genres entre "génocide de 1915" et "politique étrangère arménienne de 2001" indique assez à quels dommages collatéraux dangereusement actuels il faut s'attendre si la qualification de "génocide" n'est plus soumise à la critique.

Depuis que, au milieu des années '60, le terme "génocide" a été revendiqué, il a servi de prétexte à toutes les dérives, à tous les excès, à toutes les manipulations. Il a justifié le meurtre de diplomates turcs, l'attentat d'Orly, les manifestations contre l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, le contrôle par le parti Dachnack des organisations de la diaspora, l'alignement des politiciens français sur une stratégie contraire aux intérêts de la France, le développement d'un communautarisme malsain, la mise sous tutelle des artistes arméniens sommés de se définir par rapport au génocide...

La stratégie de guerre civile du Dachnack

Il importe de bien écouter ce qu'a dit Mourad Papazian, Président du Dachnack pour l'Europe occidentale, en présence d'officiels français lors de l'inauguration à Marseille d'un monument dont on nous dit qu'il a été payé uniquement par des fonds publics:
"Chers compatriotes, contre la Turquie, nous allons continuer à nous organiser. Nous organiser pour mieux nous mobiliser. Nous mobiliser pour mieux atteindre nos objectifs. Mieux atteindre nos objectifs pour gagner. Non seulement pour la reconnaissance du génocide mais aussi pour l'édification d'une Arménie libre, indépendante et réunifiée pour que tous ensemble, nous puissions reprendre possession de Van, Mouch, Kars, Sassoun, Bitlis et Erzeroum."

Tel est le programme de guerre civile annoncé par Mourad Papazian qui se trouve aussi être l'interlocuteur de François Hollande et l'inspirateur direct de la proposition de loi socialiste.

La "feuille de route" préparée par le Dachnack de M. Papazian entraîne la France sur un chemin miné. Car une fois que le génocide sera devenu "indiscutable", ses conséquences ne seront pas discutables non plus. Quelle sera la position de la France quand le Dachnack poussera son avantage et, comme annoncé, réclamera des compensations financières et l'extension de l'Arménie bien au-delà de ses frontières actuelles?

Sauf à se renier, la France devra soutenir ces revendications-là aussi. C'est à quoi le Dachnack, à petits pas, prépare l'opinion publique et le monde politique français. Et si ces revendications s'accompagnaient d'actions terroristes comme au temps de l'ASALA mais aux frontières de la Turquie cette fois?

Le risque n'est pas illusoire. Plusieurs fois déjà dans son histoire la FRA - Dachnack a vu se développer sur ses flancs des organisations plus clandestines et plus radicales qui étaient à la fois officiellement désavouées et discrètement soutenues. Aujourd'hui, dans le Caucase, les mercenaires désoeuvrés ne manquent pas. Désormais, grâce à la FRA - Dachnack, les prétextes ne manquent pas non plus.

Gaïdz Minassian a bien analysé ce que fut l'état d'esprit d'une forte proportion de militants de la FRA -Dachnack: "Le terrorisme a débloqué la question arménienne et apporté bien plus que les résolutions adoptés ici ou là par quelques Etats et partis étrangers. İl a redonné confiance aux Arméniens et mobilisé une diaspora en mal d'aventure collective et vouée à la mort par inanition." (Guerre et terrorisme arméniens 1972-1998, PUF- 2002)

L'heure n'est plus -pour l'instant- à la lutte armée. Lors du même congrès où une pause dans le terrorisme fut décidée, la FRA - Dachnack a aussi "décidé l'envoi d'instructeurs dans les camps du PKK et d'experts en explosifs". Pour garder la main sans doute.

La Fédération Révolutionnaire Arménienne-Dachnack a rejoint l'İnternationale Socialiste en 1996 et c'est ce qui lui vaut une mansuétude particulière du Parti Socialiste. Mais elle n'a jamais exprimé de regret pour son terrorisme passé, pas plus qu'elle ne s'est engagée dans une lutte sans faille contre tous les terrorismes.

Le Dachnack manipulateur et manipulé

En France, ni le gouvernement ni l'opposition ne se sont indignés d'avoir étés entraînés malgré eux vers un affrontement international programmé.

Le monument inauguré le 24 avril à Marseille n'a pas pour respectable objectif de rendre hommage à la mémoire des victimes. İl s'agit d'une réplique à plus petite échelle du monument d'Erevan et présente " douze pierres disposées en cercle qui symbolisent les douze provinces spoliées par la Turquie". Financé par des fonds publics de l'Etat et des collectivités, inauguré en présence d'Arthur Baghdassarian, Président de l'Assemblée nationale de la République d'Arménie, voilà, en pierre et pour longtemps, une revendication territoriale explicite. Le discours tenu sur place par M. Papazian n'a laissé aucun doute aux officiels français présents.

Comment les Turcs pourraient-ils croire encore à la bonne foi de la France, à son intention sincère d'aider le nécessaire réconciliation?

D'un côté, quand il est en présence de François Hollande, Mourad Papazian proclame son "attachement à une Europe démocratique et sociale, garante des valeurs éthiques et morales dont les Etats membres se doivent d'être, individuellement et collectivement, les dépositaires vigilants et intransigeants."

Mais d'autre part, devant ses militants et ses compatriotes, oubliant l'éthique et la morale, le leader de la FRA -Dachnack parle de "reprendre possession" de Van, Mousch, Kars, Bilitis, Erzouroum....

Et si la FRA - Dachnack, si habile à manipuler les hommes politiques français, était elle aussi manipulée depuis près d'un demi siècle? Quelques faits offrent matière à réflexion et une toute autre analyse s'esquisse..

C'est au milieu des années 60 que le terme "génocide" a été utilisé non seulement pour qualifier les massacres mais aussi pour justifier toutes les actions engagées contre la Turquie. Or cette stratégie a été lancée depuis Erevan, capitale de la République soviétique d'Arménie. Dans l'URSS d'alors, ce n'est pas le genre d'initiative qui se prend sans que le Kremlin soit intervenu.

A la même époque, le Bureau mondial de la FRA-Dachnack opère un virage radical. En 1965 toute l'administration centrale, le Fonds financier, les secrétariats des organisations sont transférés à Beyrouth, c'est-à-dire sous influence soviétique par Syriens interposés.

Le prétexte du génocide sera dès lors utilisé à fond pour mobiliser la diaspora dans le monde entier. Pour l'URSS, c'est un coup de maître. La Turquie se réveille "ennemi héréditaire" harcelée par des Arméniens de la diaspora qui sont pourtant, comme elle, dans le camp occidental.

L'URSS n'a jamais vu d'un bon oeil le début d'unification de l'Europe. Que la Turquie à son tour se rapproche de Bruxelles ne peut que l'inquiéter. L'effort portera donc non seulement sur la Turquie membre de l'OTAN mais aussi sur la Turquie alliée de la Communauté européenne.

Depuis plus de 40 ans sans discontinuer le Dachnack traite la Turquie en ennemi privilégié. Depuis plus de 40 ans, la stratégie du Dachnack sert parfaitement les intérêts soviétiques d'abord et russes aujourd'hui. Dans le Caucase comme à Bruxelles, à Marseille comme à Paris.

La seule question qui vaille est: jusqu'à quand?

R. Perrin a dit…

@Engin

Quand je lis vos arguments, je me dis que Gérard Collomb et tous ceux qui s'élèvent contre le négationnisme dont fait preuve la Turquie depuis le génocide des Arméniens de 1915 ont raison de le faire.

En appeler à taire la réalité de ce génocide au nom du principe de réconciliation entre les peuples, ça ne fonctionne pas. La première marche vers une réconciliation, c'est la reconnaissance de la réalité des faits historiques.

Cette demande est celle de la diaspora arménienne partout dans le monde, contrairement à ce que vous affirmez.

Concernant les "connaissances" particulières des Anglais à propos de ce débat, relisez donc le discours de Gérard Collomb où ce sont justement nos amis britanniques qui dès 1916 ont établi les massacres de l'empire Ottoman commis sur les populations arméniennes d'Anatolie.

A force de réinterpréter l'histoire, vous semblez oublier l'essentiel. Vous vous perdez en conjectures politiciennes visant à regarder l'Histoire sous le seul angle des intérêts partisans immédiats.

Mais cela ne peut en aucun cas dévier les démocrates de tous les pays de leur demande vis-à-vis de la Turquie qui a encore un long parcours à faire.

R. Perrin

bernard a dit…

N'en déplaise à certains, je vous rejoins sur bien des points sur cette effroyable génocide arménien, bonne continuation

S. Villeneuve a dit…

@Engin Akgürbüz, puisque c'est très certainement de vous qu'il s'agit dans le 3e commentaire.

Rappelons que vous êtes le Secrétaire général du comité de coordination des associations franco-turques de la région lyonnaise.

J'ai lu vos récents propos sur le site de Turquie Européenne. Comment pouvez vous comparer la situation actuelle avec les relations franco-allemandes après guerre ? Cela va faire 100 ans que le génocide arménien a été commis sans que la Turquie ne fasse aucun signe en direction d'une quelconque reconnaissance.

Il a fallu beaucoup moins de temps à l'Allemagne pour affronter son passé totalitaire et engager son acte de repentance vis à vis des juifs. Vos arguments ne tiennent pas d'un point de vue de la chronologie de l'histoire.

Par ailleurs, je trouve offensant vos propôs vis à vis du maire de Lyon que vous jugez "complaisant". Vous n'avez aucune compassion, soit.

Mais penser que des hommes politiques comme Collomb ou Obama qui ne "retiennent de l'histoire que ce qu'ils veulent le temps d'un discours", c'est à la fois méconnaitre totalement le sens d'engagements politiques profondément démocrates et témoigner d'un profond mépris à leur égard.

Mais peut-être pensez vous que c'est avec de tels propos que la Turquie pourra demain intégrer l'UE ! Vous vous trompez.

Simon Villeneuve

Anonyme a dit…

Il ne saurait y avoir de "respect mutuel", ce serait absurde, sans une reconnaissance du génocide commis par les turcs, tout comme du diabolique effort de déni soigneusement entretenu depuis si longtemps.

Si j’interviens, c’est surtout pour indiquer que les semblants d’ouverture de ces derniers mois pourraient n'être rien d’autre que la partie émergée de la nouvelle politique turque face à la difficulté croissante de continuer à nier le Génocide des Arméniens.

Ils préfèrent “embrasser la main qu’ils ne peuvent couper” et minimiser la chose en prenant les devants. Déjà, on nomme des “professeurs d’arménien” dans les universités turques. Ils sont soigneusement choisis. Demain, ce sont eux qui “étudieront les documents” relatifs au Génocide avec toute la duplicité requise.

En attendant, le gouvernement turc lâche un peu la bride,à quelques- uns de ces intellectuels sans doute bien intentionnés (mais pas tous) tout en tenant une laisse très courte à ce genre de mouvement de sympathie.

L'assassin de Hrant Dink a été traité en héros par les policiers qui l'ont arrêté...

Ne sous-estimez pas l’hypocrisie turque. Elle fait partie intégrante de leur culture, de leur relation au monde (il y a une expression en turc, qui parle de langage de roses, mais je ne m’en rappelle plus).

Quand à leur cruauté, eh bien lisez, ou relisez, votre propre histoire si vous êtes arméniens.

Nous sommes ce qui reste du martyre inouï des nôtres, cela crée quelques devoirs, et celui de la prudence n’est pas le dernier.

Cette prudence, cette vigilance, je ne peux que les recommander tout autant à mes amis européens.

Boghos

ema01 a dit…

bravo pour ce discours. Ce sujet m'interesse beaucoup depuis que mon prof en a parlé en 3ème.
J'ai trouvé 2 vidéo qui m'ont trop boulversé:

c un reportage sur canal pas long : http://www.youtube.com/watch?v=dA0PP_VLSlg


et un discours qu'un jeune a fait à paris : http://www.youtube.com/watch?v=YUxMlv_1dLY