samedi 3 septembre 2011

Libération de Lyon

" Ne pas s'affranchir des leçons du passé "


Voici le discours que j'ai prononcé ce matin pour les commémorations du 67e anniversaire de la Libération de Lyon.

"Le 3 septembre 1944, notre ville était libérée. C’était, il y a 67 ans, la fin d’un effroyable cycle de répression, de violence et de douleurs. Certes, la guerre allait continuer, pour quelques temps encore, avec son lot d’atrocités, de crimes, d’injustices. Mais sur notre sol national, l’offensive lancée par les forces des armées alliées et de la France Libre, avec l’appui des Forces Françaises de l’Intérieur, s’avérait chaque jour plus décisive.

C’était la fin d’une longue et douloureuse occupation. C’était la fin du long martyr de Lyon qui, dans les derniers moments d’une guerre devenue de plus en plus effroyable avait connu la plus féroce des répressions. Sentant se refermer sur lui l’étau des forces alliées, l’occupant s’était mué en effet en monstre aveugle, tuant, exécutant, massacrant dans une spirale de surenchère criminelle.

Implacables journées d’août 1944 qui – jusqu’aux dernières heures précédant sa libération – avaient plongé notre Cité dans un climat d’angoisse et de terreur. C’est parce qu’elle signe la victoire sur une des pages les plus sanglantes de la barbarie nazie que la Libération de Lyon appartient à ces chapitres de l’Histoire qu’il convient de connaître, d’enseigner, de diffuser.


Qui n’a pas visionné, Monsieur le procureur général, le DVD consacré au procès Barbie, ne peut appréhender la violence de cette époque, le désespoir de ceux qui l’on connue.

La victoire était donc l’aboutissement de l’espérance de tous ces hommes, de toutes ces femmes, venus des horizons les plus divers, des contrées les plus éloignées avec les cultures les plus hétérogènes, mais qui avaient tous en commun d’avoir souffert dans leur chair comme dans leurs esprits.

Espérance, en effet, que celle de ces millions de soldats engagés sur les côtes de Normandie et de Provence, comme ceux de la 1ère DFL dont vous venez, Cher Guy Dufeu, de retracer l’épopée héroïque. Espérance que celle de ceux qui, dès le début, avaient ressenti l’appel du Maréchal Pétain à déposer les armes comme une trahison, refusant cette voie de la collaboration que traçait, dès l’été 1940, le régime de Vichy.

Espérance que celle de tous ceux qui avaient rejoint les maquis.
Espérance, plus généralement, de ces millions de Français qui dans un pays occupé, meurtri, humilié, avaient été si longtemps tendus vers ce jour où la France serait enfin libérée.

Nos commémorations rappellent les larmes et le sang versés pour venir à bout de l’ennemi. Chaque année nous nous attachons à donner à ces cérémonies un lustre particulier en mettant en lumière tel ou tel acteur, tel ou tel fait marquant.

Et nous honorerons tout à l’heure quelques anciens Résistants. Mais c’est pour nous aussi chaque fois le moment de rappeler qu’il nous faut avoir une conscience claire de ces faits car le passé, – s’il ne se peut se répéter à l’identique, – est lourd d’avertissement, pour mieux appréhender le présent et ainsi mieux préparer le futur.

Il s’agit de rendre hommage à l’ensemble des victimes. Il s’agit également de méditer sur les causes profondes qui avaient fait basculer l’Europe dans l’horreur et entraîné le monde dans une guerre totale.

Pourquoi un pays comme l’Allemagne, fleuron de la civilisation européenne, avait-il pu basculer dans une idéologie fondée sur l’exaltation de la race et le mépris de peuple prétendus inférieurs ? Comment le peuple allemand avait-il pu ne pas voir le péril mortel que recelaient les thèses racistes qu’Hitler – bien avant son accession au pouvoir – développait dans un projet qui fondait un prétendu renouveau national sur la nécessité d’une purification du sang allemand ?

Funeste dessein visant à éliminer la présence millénaire des Juifs en Europe. 
Funeste dessein qui faisait des peuples slaves des peuples de seconde zone.
Funeste dessein qui marqua un avant et un après dans l’histoire de notre humanité.

Quand on lit Les Disparus de Daniel Mendelsohn, immense enquête sur tous ceux qu’allait engloutir la folie d’un homme, on voit bien que demeurent béantes les plaies et les blessures ouvertes par cette sombre période. Avec l’auteur de cette œuvre magistrale – un des derniers sans doute à nous restituer des témoignages vivants sur l’holocauste, – on ne peut que partager une idée. Comme il le dit, "Nous sommes juste assez proches de ceux qui y étaient pour nous sentir une obligation vis-à-vis des faits tels que nous les connaissons ; mais nous sommes aussi assez éloignés d’eux pour devoir nous soucier de notre propre rôle dans la transmission de ces faits, maintenant que les gens, qui les ont vécus, ont pour la plupart disparu".

Le devoir de mémoire, il est donc certes à l’égard des victimes. Mais il est d’abord et surtout devoir de comprendre comment la patrie de Goethe et de Mozart avait pu s’engager sur ce chemin d’apocalypse qui allait conduire toute l’Europe à sa perte. Chemin forgé dans l’impossible République de Weimar créée au lendemain d’un traumatisme sans précédent pour l’Allemagne : défaite de ses armées ; humiliation du traité de Versailles ; perspective d’immenses réparations à payer qui allait jeter le pays dans une crise effroyable.

Tout cela portait déjà en germe une volonté  de revanche.

La grande dépression de 1929 qui propageait sa contagion à l’ensemble des nations industrialisées allait faire le reste.

Les pires difficultés allaient en effet s’abattre partout sur les classes laborieuses et sur les couches moyennes des sociétés européennes.

C’est sur ce terreau d’extrême désordre économique, sur la profonde crise sociale qu’il avait entraîné, qu’allaient germer les idées du fascisme et du national socialisme.

C’est là qu’elles allaient prendre racine, permettant une prise démocratique du par des partis qui n’avaient pourtant qu’un but : supprimer justement la démocratie, supprimer les démocraties.

C’est, en effet, dans le cadre des institutions allemandes qu’avant son accession à la chancellerie en 1933, Hitler avait fait de son parti le plus important et le plus influent du pays.

Ses thèses racistes et antisémites, il les avait fondues dans un discours plus large, se présentant comme le seul à même d’incarner la Volksgemeinschaft, cette volonté de fédérer le peuple allemand dans la "communauté nationale", de le protéger et d’assurer une résurrection qui le sortirait du fond du désespoir où il se trouvait.

C’est ainsi que s’étaient ralliés à lui des pans entiers de l’électorat : jeunes, chômeurs, paysans, tous ceux que la désillusion avait gagnés.

C’est ensuite seulement qu’était venu le temps de la mise sous tutelle absolue de l’état ; de l’élimination systématique de tout opposant ; le temps de la promulgation des lois de Nuremberg, celles qui excluaient de la nation tous ceux dont on ne reconnaissait pas la pleine aryanité.

Ainsi s’était noué ce qui allait aboutir au conflit le plus sanglant de l’humanité.

Il n’est pas de présent qui puisse s’affranchir des leçons du passé. C’est la leçon de Mendelsohn.

Leçon qui résonne d’un écho singulier en ces temps de crise où nous nous trouvons à nouveau plongés dans le plus grand désordre économique, avec une crise qui sous bien des aspects nous rappelle celle des années 30, celle qui avait fait basculer dans l’horreur les vieilles nations européennes.

Leçon qui résonne d’un écho singulier en ces temps où, sous les coups de boutoir de la crise financière les gouvernements européens semblent chaque jour un peu plus incapables de sortir notre continent des difficultés, incapables de surmonter un chômage qui dans bien des pays, et en particulier dans le nôtre, menace de déstructurer la société.

C’est que nous sommes dans une époque charnière.

Une époque où chacune de nos nations a perdu de son pouvoir sans que nous construisions pour autant cette Europe intégrée qui nous permettrait de faire face aux grands problèmes du monde.

Epoque de doute où l’intégration politique qui aurait dû accompagner l’intégration économique et monétaire fait cruellement défaut.
Epoque de doute où la montée des nouvelles puissances économiques semble renvoyer notre continent à un déclin inexorable.
Epoque de doute où le printemps des peuples soulevant les nations arabes est fort d’espoir !
Mais aussi, si nous sommes incapables de lui donner une perspective, – parce que nous-mêmes nous n’aurions pas de perspective ! – lourd d’instabilité et de nouvelles conflictualités.

Dans cette période où le temps semble s’accélérer et nous entraîner dans une spirale qui rend l’avenir toujours plus incertain, dans cette période qui suscite la crainte et l’angoisse, comment ne pas voir qu’il y a là un terrain particulièrement propice pour que se développent les discours populistes.

Ceux qui dénoncent l’incapacité des Etats à surmonter la crise.
Ceux qui appellent à un repli sur soi, à un rejet de l’autre. Tout simplement parce qu’il est autre.

De nouveau les partis xénophobes font entendre leur antienne raciste fondée sur un nationalisme intégral qui, disent-ils, serait seul à même de dissiper les nuées qui obscurcissent le ciel européen !

Le paroxysme de tout cela, on l’a vu en Norvège, où un illuminé est tout d’un coup passé de la théorie à l’acte. Pour parer à cela, pour éviter que les nations européennes ne revivent les cauchemars du passé, le temps est donc venu d’inventer un autre avenir, comme l’avait fait ceux de la Résistance, ceux de la Libération.

Le temps est venu, comme le disait Bergson, de "projeter dans l’avenir ce qu’on a perçu dans le passé". De faire preuve de cette même volonté qu’en leur temps avaient manifesté celles et ceux de la Résistance, celles et ceux de la Libération, ceux qui ne se résignaient pas, ceux qui ne s’abandonnaient pas, ceux qui dans les moments où aurait pu s’installer le doute et la désespérance, restaient convaincus, au plus profond de leur être, que leur combat était un combat juste.

Aujourd’hui notre combat se doit d’être fidèle au message né de tant d’épreuves, né de tant de douleurs. Celui d’une Europe qui maintiendrait la paix des peuples, parce qu’elle assurerait la démocratie, le progrès économique, et l’harmonie sociale.

C’était cela l’esprit des pères fondateurs de l’Europe : une transcendance des intérêts particuliers au service d’un projet commun. C’était cela par exemple qu’évoquait Altiero Spinelli, pionnier du mouvement fédéraliste européen, qui dans un discours vibrant prononcé en 1957 et dont les mots sont si criants d’actualité : "Si l'Etat national était la seule forme d'organisation politique pour les Européens, si nous ne savions pas regarder au-delà de lui comme les Grecs ne surent regarder au-delà de la polis, nous n'aurions qu'à constater que nous sommes arrivés à la fin de la civilisation européenne, nous résigner et attendre que notre destin s'accomplisse."

A nous d’entendre et de reprendre ce message.

A nous de réaffirmer que l’optimisme et la confiance valent mieux que la peur et le désespoir !

Sachons avancer, sachons parachever la construction européenne.

Alors nous réussirons à changer le cours de l’histoire, à inventer un autre avenir. Alors nous serons dignes de celles et ceux que nous honorons aujourd’hui."

3 commentaires:

Victor S. a dit…

La référence au livre de Daniel Mendelsohn est tout à fait pertinente cher Gérard.Bravo pour ton discours bien inspiré en cette période troublée. L'UMP a encore démontré ce week end à Marseille son penchant irrésistible pour les discours sectaires. Le temps est en effet venu de changer. Amitiés socialistes, Victor

Anonyme a dit…

"Si l’Etat national était la seule forme d’organisation politique pour les Européens (...) nous n’aurions qu’à constater que nous sommes arrivés à la fin de la civilisation européenne, nous résigner et attendre que notre destin s’accomplisse..." RIEN A AJOUTER. MERCI.

Anonyme a dit…

il est magnifique ce discours - bravo