lundi 1 octobre 2007

Lettre ouverte à la ministre du logement et de la ville

Voici la lettre ouverte que j'ai remise en main propre à la ministre du logement et de la ville, vendredi


"Madame le Ministre,

Alors que le Ministère du logement et de la ville rejoint la capitale après dix jours de décentralisation à Lyon, je me permets de vous faire part de certaines interrogations et suggestions quant aux propositions de l'État en matière de politique de l'habitat.

Je retiens des annonces fortes : 500.000 logements neufs à construire par an, dont 120.000 logements sociaux ; la mise en œuvre du droit au logement opposable ; la vente de 40.000 logements sociaux par an et la perspective de réorientation d’une partie des crédits du renouvellement urbain vers l’action sociale individuelle en direction des habitants des quartiers.

Augmenter le rythme de construction dans le pays, améliorer l’accès au logement des personnes en difficulté, permettre aux locataires HLM qui le souhaitent d’acheter leur logement, et accroître les aides aux personnes défavorisées des quartiers en « politique de la ville », constituent des orientations et des principes auxquels on ne peut que souscrire.

Je m'interroge sur les conditions de mises en œuvre de ces mesures. Vont-elles faciliter la solidarité, l'équilibre, la mixité sociale et la densité urbaine qui sont les objectifs que toute politique de l'habitat doit poursuivre, particulièrement dans les villes ?

La production de logements est un système complexe qui réclame des disponibilités foncières, nécessite que l’appareil de production des entreprises du bâtiment soit en capacité de répondre à la demande et exige la conformité aux règlements d'urbanisme, sans compter son financement.

Aujourd’hui, la production immobilière est en surchauffe. Nombre d’appels d’offre sont sans réponse ou infructueux, notamment pour ce qui concerne les maîtres d’ouvrage sociaux.

Augmenter la production de logement devra donc se traduire par des recrutements massifs dans un secteur peu prisé et par un effort de formation et de motivation pour attirer et retenir un personnel qualifié.

A supposer cette difficulté surmontée, où seront, demain, localisés les logements supplémentaires ?

Ils seront produits en priorité là où c’est le plus aisé et le moins onéreux de les construire. A savoir, dans les zones pavillonnaires des aires périurbaines de nos grandes agglomérations, et à proximité des friches industrielles des premières couronnes de nos villes, c’est-à-dire à côté de quartiers déjà essentiellement composés de logements à vocation sociale. Ce qui ne manquerait pas de favoriser l'étalement urbain. Ce serait contraire au développement durable dont notre pays veut faire une priorité.


"Redonner une attractivité aux quartiers en difficulté..."

Par ailleurs, je veux croire que cette accélération de la production de logements se fera au bénéfice du logement social. Mais, la croissance des objectifs et des crédits de l’État pour sa production, inscrit dans la loi relative au droit au logement opposable, aussi légitime soit-elle, risque de rester sans effet. Vous n'êtes pas sans savoir que l’État et la Caisse des Dépôts ne financent plus que 60 à 70 % d’un logement et que les autres financeurs, les organismes HLM, le 1% logement et les collectivités locales, sont souvent au maximum de leurs possibilités et ne pourront pas augmenter leur contribution à concurrence de celle de l'État.

Plus inquiétant le cumul des trois autres objectifs gouvernementaux risque de réduire à néant les efforts menés par l’ANRU, les organismes HLM et les collectivités pour recomposer la ville et redonner une attractivité aux quartiers en difficulté.

Si l’application du droit au logement opposable qui doit permettre à nombre de nos concitoyens en situation précaire de pouvoir prétendre à un logement social, ne peut qu’emporter l’adhésion sur le plan des principes, il est crucial d’examiner les conditions de sa mise en œuvre.

Le nombre de demandeurs susceptibles d’obtenir une décision de justice favorable dépassera d’au moins dix fois la capacité du contingent réservé au préfet pour le logement des personnes défavorisées. Par répercussion, c’est l’ensemble de l’offre d'habitat social qui sera mise à contribution. Et, à n'en pas douter, principalement là où elle est le plus abondante, c’est-à-dire dans les grands quartiers inscrits en politique de la ville. Outre le fait que cette loi risque de mettre en concurrence ses bénéficiaires et les demandeurs ordinaires de logements sociaux, les efforts de diversification qui commencent à porter leurs fruits seront largement contrecarrés par les effets pervers du système.


"Répondre aux attentes des grandes agglomérations..."

Quant à demander aux communautés urbaines ou aux communautés d’agglomération délégataires des aides à la pierre de prendre la responsabilité du droit au logement opposable, je suis persuadé que cela amènerait le retrait de ces établissements de coopération intercommunale. Pourtant, elles sont aujourd’hui nombreuses à s’être engagées dans un effort important dans la construction de logements sociaux.

Je m'interroge sur la proposition certes attirante d’une « France des Propriétaires ». L’exemple américain peut nous montrer que, si pour atteindre cet objectif, nous devions accepter une dérégulation des contraintes, en fait protectrices du système bancaire français, nous risquerions de connaître de sévères désillusions, surtout dans un contexte où la croissance ralentit. Par ailleurs, pour vendre 40.000 logements sociaux par an (soit 1 % de l’offre au plan national), comme le souhaite le Président de la République, il faut en réalité en proposer à la vente entre 200 et 300.000, autant d'habitations qui ne seront plus proposées à la location.

Ceci ne manquera pas de renforcer la pression sur les ménages les plus fragiles. Vous êtes allée en Espagne récemment, et je crois que nos voisins espagnols, qui sont propriétaires à plus de 80 %, vous ont dit qu’ils enviaient notre secteur locatif, qui permet l’installation des jeunes ménages. Dans un contexte de crise du logement social et intermédiaire, la cohérence de la démarche sera difficile à assurer.

Enfin, je m'alarme de voir les projets de renouvellement urbain en cours de préparation ou d’instruction à l’ANRU reconsidérés à la baisse, alors que nous sommes à peine au milieu du gué. C’est l’ensemble de notre politique de rééquilibrage des agglomérations qui sera remis en cause, alors qu'elle commence à porter ses fruits et que les quartiers reprennent une attractivité qu’ils avaient perdue depuis longtemps.

Toutes les initiatives réclament attention dans leur réalisation. Or, le projet du gouvernement ne semble pas répondre aux attentes des grandes agglomérations. C'est pourquoi, Madame le Ministre, par des discussions constructives, nous pourrions réfléchir à des amendements à apporter pour mieux mettre en cohérence les dispositifs d’État avec les objectifs de développement local et les besoins des populations.

En ce sens, je vous propose d'étudier trois pistes de réflexions partagées par nombre de mes collègues responsables de grandes agglomérations.


1/ Mieux articuler politique nationale et stratégies locales

Par exemple, on constate une diversité considérable des coûts de production du logement social à travers le territoire national, que les seuls mécanismes de marché ne peuvent pas expliquer. C’est pourquoi il faut revoir les clés de répartition des enveloppes de financement entre régions, les rendre lisibles et associer à leur définition les communautés délégataires. Plus largement, les élus locaux doivent être entendus pour la définition des objectifs de la politique du logement au plan national, sur le plan tant quantitatif que qualitatif. La production de logements, sociaux ou pas, fait l’objet d’engagements des communautés urbaines, d’agglomération ou de communes dans leurs programmes locaux de l’habitat. Il convient que les objectifs qui découlent des plans nationaux soient accordés, au cas par cas, avec ceux des PLH ; par exemple pour ce qui concerne la vente de logements sociaux.


2/ Elaborer une politique du financement du logement social plus ciblée

Les aides fiscales au logement sont souvent mal calibrées par rapport aux marchés locaux. Nous demandons que les règles d’attribution de ces avantages fiscaux puissent être fixées au niveau local, en fonction de la réalité observée. Ou si ce n’est pas possible, que la dépense soit réorientée vers d’autres systèmes à objectif social réel. La Communauté urbaine de Lyon et beaucoup d’autres ont été volontaires pour prendre la délégation des aides à la pierre de l’État. Elles l’ont fait dans un contexte où la solidarité nationale permet de faire face à la différence entre les prix de marché constatés localement et la capacité contributive réelle des ménages. Si celle-ci n’était plus garantie, cela pourrait remettre en question leur engagement


3/ Renforcer la capacité des communautés de communes à piloter les politiques locales

Pour cela, une véritable réforme des moyens de l’État au niveau local doit être engagée, pour qu’il puisse continuer à jouer son rôle de garant de la solidarité nationale. La délégation des aides n’est pas un transfert pur et simple, et nous ne le souhaitons pas.

Des dispositifs d’observation allant du local vers le national doivent en outre être mis en place. En tant que collectivité délégataire, nous souhaiterions une mise à disposition sans contrainte des bases de données nationales pour ce qui concerne nos territoires. Ces éléments devront servir à alimenter des observatoires locaux.

Dans ce cadre, il serait souhaitable d'élaborer une comptabilisation nationale des apports directs et indirects des collectivités locales en matière de logement, par type de collectivité, et de définir un cadre de référence de traitement de ces données statistiques et financières.

Madame le Ministre, je sais votre volonté que le logement devienne une grande politique nationale sur toute la chaîne. Je sais également votre conviction que seule l’action cohérente conjuguée de tous les niveaux de la puissance publique et de tous les acteurs permettra d'atteindre ce but que nous avons en commun. Sachez, que nous sommes tout disposés à y contribuer."



6 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci M. Collomb pour cette lettre ouverte sur un thème aussi important que celui du logement.

C'est cela qu'attendent aujourd'hui les français de la part de leurs élus. C'est à dire des femmes et des hommes responsables qui s'engagent sur le fond des grandes questions de société.

Je vous félicite d'autant plus pour cette démarche qu'elle s'accompagne d'actes forts sur le territoire de l'agglomération lyonnaise. Entrepreneur dans le BTP (et vous m'autoriserez à garder l'anonymat), je connais le travail réalisé par les collectivités dont vous avez la charge pour développer et équilibrer notre territoire.

Ce qui ne gâche rien à cette action de fond dont se réjouissent toutes les entreprises de la construction, c'est que vous avez réussi à faire de Lyon un pôle d'excellence dans des domaines touchant au développement durable (comme à la Duchère ou à la Confluence).

Aujourd'hui il suffit de se promener un peu partout dans l'agglomération lyonnaise pour se rendre compte du chemin réalisé ces dernières années.

Je dois également vous féliciter car vous êtes membre d'un parti politique qui ces jours ci nous habitue plus à entendre les conflits internes et les réglements de compte... pour rester poli.

Vous avez raison de continuer à bosser et de vous tenir à l'écart de ces méthodes dérisoires.

Vous l'aurez compris, je suis de tout coeur avec vous et vous soutiendrai pour vous permettre de poursuivre ce que vous avez commencé avec beaucoup d'exigence.

Bon courage

Anonyme a dit…

Je lis avec beaucoup de plaisir votre blog

Merci !

Anonyme a dit…

elle a répondu koi la ministre ???

Anonyme a dit…

enfin un message fort interressant sur ce blog! Bravo M Collomb pour ce courrier qui présente une volonté politique forte avec vous. Peut-on avoir la réponse du Ministre?

Anonyme a dit…

Merci M.le Maire pour cette lettre ouverte. Je partage totalement votre point de vue sur cette question essentielle du logement que Mme Boutin ne maîtrise pas totalement. Ses déclarations récentes sur l'ajout d'étages supplémentaires sur les toits d'immeuble est même ubusesque de la partd'un membredu gouvernement !

Anonyme a dit…

La nouvelle étude Cap'Com-Ville&Banlieue-IDcommunes est en ligne : La communication face aux quartiers en difficulté > http://www.youtube.com/watch?v=lJc5oTylzAg