lundi 30 avril 2007

Journée Nationale du Souvenir

Hier, en fin de matinée, s'est tenue la cérémonie du 62e anniversaire de la Journée Nationale du Souvenir des victimes et des héros de la déportation, un moment d'une rare émotion.Voici le discours que j'ai prononcé à cette occasion. Bonne lecture.

«Ils peuplent ma mémoire de leur présence sans visage» écrivait Primo Levi au sujet de tous les déportés, de tous les disparus du monde concentrationnaire. Le témoignage de ce Résistant juif, interné dans un camp du Nord de l'Italie, puis déporté le 22 février 1944 à Auschwitz, fut un des tout premiers à révéler au monde l'horreur des camps de concentration.

Le Centre d'Histoire de la Résistance et de la Déportation a décidé de rendre hommage à ce grand témoin de l'histoire en lui consacrant une exposition importante que je vous invite à découvrir.Dès son arrivée à Auschwitz, Primo Levi fut affecté à l'usine chimique d'IG Farben, appelée «usine de la mort» par les prisonniers, tant les conditions de travail y étaient inhumaines.

Dès les premiers jours, l'idée de témoigner lui vint à l'esprit. Comme si, dans la plus profonde noirceur des camps, l'écriture représentait un ultime signe d'espoir, même le plus infime, auquel se raccrocher.Par ses nombreux écrits et ses multiples interventions dans la presse, dans les journaux, dans les débats télévisés, dans les écoles et dans les universités, Primo Levi est l'un de ceux qui a le plus contribué à la prise de conscience dans le monde de ce que fut la Shoah.

Le 11 avril 1987, Primo Levi se donna la mort, comme si le cauchemar qui le hantait était devenu définitivement trop lourd pour lui. Cette soudaine disparition entraîna une immense émotion. Cette fin tragique fut ressentie d'autant plus fortement en cette période, que le monde commençait à s'intéresser à la Shoah et à la déportation comme jamais il ne l'avait fait auparavant. Comme si, finalement, il avait fallu laisser passer près de quarante années avant que l'humanité ne puisse regarder en face la réalité des persécutions nazies, des déportations, du génocide des Juifs d'Europe.

Le 60e anniversaire de la Libération des camps, que nous célébrions ici même il y a deux ans, a été l'occasion de rappeler partout dans le monde ce trou noir, dans l'histoire de notre Humanité, qu'a été l'extermination de plus de 6 millions de Juifs, parmi lesquels 1.2 millions d'enfants. Il faut rappeler que dans cette folie meurtrière furent aussi emportés près d'un demi-million de Rom, près de 250.000 handicapés, ainsi que des milliers d'opposants au régime hitlérien, d'intellectuels et d'homosexuels, tous ceux que les nazis accusaient d'être nés avec un critère génétique discriminant.

Par son ampleur, par son caractère industriel et rationalisé, cet assassinat de masse, perpétré au nom des pires théories racistes, fut d'une forme jusqu'alors inconnue en Europe et dans l'histoire du monde. «Jamais je n'oublierai», nous dit Elie Wiesel. « Jamais je n'oublierai cette fumée. Jamais je n'oublierai les petits visages des enfants dont j'avais vu les corps se transformer en volutes sous un azur muet. Jamais je n'oublierai ces flammes qui consumèrent pour toujours ma foi. Jamais je n'oublierai ce silence nocturne qui m'a privé pour l'éternité du désir de vivre. »

C'est bien en mémoire de toutes les victimes des crimes nazis que chaque année, à Lyon comme dans toutes les villes de France, nous célébrons la Journée Nationale du Souvenir des Victimes et des Héros de la Déportation. En mémoire de tous ces morts sans sépulture dont la cendre est pour toujours mêlée à la terre. En mémoire des 76.000 Juifs de France, dont plus de 11.000 enfants, et des 3.000 Résistants qui furent déportés dans les camps. A peine 3.500 survécurent aux violences, aux persécutions, aux maladies ou à l'extermination pure et simple dans les chambres à gaz et les fours crématoires.

C'est en mémoire de toutes les victimes de l'Holocauste que les Nations Unies ont décrété, l'année dernière, la date du 27 janvier comme Journée Internationale de Commémoration.Par cette décision, la communauté internationale voulait signifier que le devoir de mémoire est non seulement une exigence morale absolue, mais que c'est aussi l'instrument de lutte le plus efficace contre tous les négateurs et falsificateurs de l'histoire. L'instrument le plus efficace contre tous ceux qui osent encore prétendre à la face du monde que tout cela n'a jamais existé ou que tout cela, finalement, n'était pas aussi inhumain qu'on veut bien nous le dire. L'instrument le plus efficace contre tous ceux qui nient l'absolue barbarie du régime nazi.

Bien évidemment, ces cérémonies ont cette année pour nous un sens particulier, puisque notre Cité s'apprête à célébrer dans les prochaines semaines le 20e anniversaire du procès de Klaus Barbie qui s'ouvrit le 11 mai 1987 au palais de justice de Lyon et qui fut le premier organisé en France pour juger des crimes commis contre l'humanité.Cet anniversaire sera pour nous l'occasion de revenir sur les exactions commises dans notre région et sur les témoignages bouleversants des victimes venus témoigner à la barre : Résistants, déportés, rescapés et leurs familles.De revenir, également, sur les charges retenues contre celui qui fut surnommé le boucher de Lyon et qui fut jugé coupable : coupable d'avoir mené une lutte sans merci contre les résistants, coupable d'avoir arrêté, torturé et fait disparaître Jean Moulin, coupable de la rafle, le 9 février 1943, de 84 personnes dans les locaux de l'UGIF rue Sainte-Catherine. Coupable de la rafle, le 6 avril 1944, de 44 enfants et des 7 adultes de la colonie d'Izieu.Coupable de la déportation, par le dernier convoi parti de Lyon le 11 août 1944 de plus de 600 détenus des prisons de Montluc, Saint-Paul et Saint-Joseph.

L'anniversaire de ce procès historique sera aussi un moment d'échanges et de réflexion entre des personnalités éminentes sur des questions aussi fondamentales pour l'avenir que le rôle et la place de la justice internationale de la prévention et de la répression des crimes contre l'humanité et des génocides. Je crois, au fond, que c'est là la vocation profonde de notre Cité qui fut, tout à la fois, une ville martyre et un haut lieu de la Résistance.

De cette ville où se sont unies, aux pires heures de l'occupation toutes les grandes familles de la Résistance, de cette ville qui porte en elle la mémoire vive de Jean Moulin, la mémoire de Lucie Aubrac, hélas décédée dans la soirée du 14 mars dernier, à l'âge de 94 ans.

Grande héroïne de la Résistance, cette femme au courage exceptionnel était une des plus ferventes militantes du devoir de mémoire dans notre pays. Avec sa disparition, c'est la Nation tout entière qui perd l'une de ses plus hautes consciences morales. Notre Cité perd aussi l?une de ses figures les plus marquantes qui, toute sa vie, a incarné l'esprit de la Résistance. Ces dernières années elle continuait avec son époux Raymond de mener le combat contre tout ce qui lui semblait porter les germes de l'injustice ou du déshonneur.A l'occasion de l'anniversaire de l'adoption du programme du Conseil National de la Résistance, elle fut du nombre de ces Anciens Combattants et Résistants qui appelèrent notre pays à retrouver l'esprit de courage, d'audace, d'innovation, de solidarité et de justice sociale qu'était celui de la Résistance, persuadée que c'était du chômage, de la déliquescence sociale allemande qu'avait pu naître un régime aussi totalement barbare et inhumain que le régime nazi, pensant surtout que les mêmes causes pouvaient demain produire encore les mêmes effets.

Récemment, je l'avais accueillie dans notre ville où elle était venue avec Robert Badinter à Lyon rencontrer des jeunes du lycée Ampère dans le cadre du 60e anniversaire de la Libération des camps. Inlassablement, jusqu'au soir de sa vie, Lucie Aubrac avait ainsi tenu à transmettre cette flamme de la Résistance avec ce message qu'elle avait chevillé au corps :

« Même face aux situations les plus désespérées - disait-elle - l'espoir est toujours au bout du chemin. » Sa générosité, sa profonde humanité et son insatiable soif de justice, doivent continuer de nous guider. La voix de Lucie Aubrac ne doit pas s'éteindre et son exemple, ne jamais cesser de nous inspirer. Car, et ceux qui étaient présents avec nous à Yad Vashem ont pu le constater, c'était le sens des messages de l'historien qui nous guidait, c'est à partir de glissements, de petites lâchetés, de petites concessions que dérive progressivement une société tout entière.Lorsque l'on cesse de penser, selon le mot de Jules Michelet que : « Chaque homme est une Humanité. Chaque homme est une histoire universelle »... Quelle que soit sa condition, quelle que soit son origine, alors guette à nouveau la barbarie. Faisons en sorte, nous le devons à tous ceux qui ont disparus, qu'elle ne rejaillisse plus jamais en France et en Europe.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Il faut arriver au bout, mais j'aime beaucoup ce discours.

Anonyme a dit…

Je trouve cela bien que nos élus profitent de leurs blogs pour mettre en ligne les discours important. Généralement, c'est un art plutôt ingrat, éphémère, qui ne rentre dans la postérité qu'à une fois tous les dix ans... pour les nouvelles entrées au Panthéon. Il faut juste que cela ne devienne pas la norme. Mais je crois que ce n'est pas votre cas?

Anonyme a dit…

Bonjour M. Collomb,

Le 20e anniversaire du procès Barbie sera en effet un événement majeur pour tous les Lyonnais. Merci de nous tenir informés du programme des manifestations qiu seront organisées à cette occasion.

Anonyme a dit…

Dommage qu'il n'y est pas de vidéo de ce discours. Sur écrit, ca rend pas mal, alors en image...

Anonyme a dit…

Le 02 mai 2007, par Sophie
Beau discours et bel hommage à Lucie Aubrac. Je remercie le Maire de Lyon d'opposer ainsi un démenti clair et net aux accusations indignes portées contre cette grande Résistante. Bravo et continuez M. COLLOMB!